Fable autistique : Samy et la forêt par Camille Hulin

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Samy et la forêt

Le monde de Samy tournait autour de deux étoiles : sa famille et la forêt. Le reste lui importait peu. Il avait toujours été de nature solitaire et rêveuse. À l’école, il restait souvent dans son coin, loin des jeux bruyants des autres enfants qu’il ne comprenait pas. Le sol de la cour devenait un tapis de feuillages, et les bâtiments autour de lui se transformaient en chênes et en sapins qui dansaient autour de lui. Ainsi, sa solitude devenait moins pesante. Il semblait si évident aux autres enfants de se faire des amis. Samy se demandait parfois ce qui clochait chez lui pour que ses pairs le rejettent si souvent, quand eux s’intégraient parfaitement aux rires et cris de joie qui résonnaient tout autour de lui. Samy avait honte de cette différence. Alors il se réfugiait dans l’imaginaire, son monde intérieur était très riche. Samy avait tracé au feutre indélébile un sourire sur son visage. Et il le portait comme un masque tous les jours de sa vie.

Ce jour-là, comme souvent, le professeur demanda aux élèves de la classe de Samy de créer de petites équipes de travail. Un nœud se forma dans la gorge de Samy. À quel groupe pouvait-il bien se greffer ? Ravis, ses camarades s’empressèrent de se réunir les uns avec les autres en fonction de leurs affinités. Tremblant, Samy s’approcha d’un premier groupe, qui le rejeta vivement. Il passa ainsi d’une équipe à l’autre sans qu’aucune d’elles ne veuille l’accueillir. Quand il se dirigea alors vers son professeur, ses jambes peinaient à porter son poids. Il lui avoua timidement que personne ne voulait travailler avec lui. Le professeur questionna alors un des groupes :

– Pourquoi ne voulez-vous pas que Samy vienne avec vous ? demanda-t-il.

– Ce n’est pas pour être méchante, annonça une de ses camarades, mais Samy, il ne sert vraiment à rien.

Ces mots heurtèrent Samy si violemment qu’il resta planté là, spectateur de sa propre souffrance. Trop ébranlé, trop humilié pour la sentir vraiment. Il finit par se diriger vers un autre groupe, qui ne voulait pas de lui non plus, et tolérait à peine sa présence. Le temps demeurait suspendu à cette scène que l’esprit de Samy rejouait inlassablement. La phrase bourdonnait en une boucle infernale qui passait et repassait en écho dans sa tête. Une seule question lui venait : pourquoi ?

Après l’école, Samy se rendit en automate dans la forêt à côté de chez lui. Il s’assit sur le sol couvert de feuilles qui crissaient sous ses pas et ne bougea plus. Il resta là longtemps, si longtemps que sous ses pieds commencèrent à se développer des racines. Son corps se couvrait peu à peu d’écorces, et sa tête de minces branches qui bientôt se parèrent d’un vert feuillage. Personne, pas même sa famille qu’il aimait tant, ne parvenait à convaincre Samy de rentrer chez lui. Et tandis que ses racines gagnaient en force et en profondeur, le jeune garçon se trouva de moins en moins en mesure d’affronter le monde à nouveau.

Pourtant, dans cette dense forêt en laquelle Samy se fondait peu à peu, il était malheureux. Le masque de son sourire, dessiné à l’encre indélébile, ne se fissurait pas. La solitude l’écrasait, et plus que jamais il se trouvait misérable. Il n’avait pas fait assez d’efforts, voilà tout. Ses racines et ses angoisses le maintenaient malgré lui dans le calme de la forêt. Le chant des oiseaux et le bruissement du vent dans son feuillage constituaient les seuls sons que l’ouïe sensible de Samy pouvait capter. Finalement, ça n’était pas trop mal. Mais peu à peu, Samy développa un douloureux mal de crâne. Cela devait être lié à ces branches accrochées à sa tête. Elles devenaient de plus en plus lourdes, à mesure que sa métamorphose s’opérait. Cette douleur s’accrocha à Samy comme lui-même s’accrochait à sa forêt et ne le quitta plus. Elle était vive et écrasante, si bien que Samy peinait à dormir, à manger, à penser.

Des années s’écoulèrent sans que Samy n’abandonne son refuge. Des années au cours desquelles sa douleur à la tête le suivait chaque jour, chaque seconde, inexorablement. Cette torture l’éloigna davantage encore de la vie réelle. La douleur s’immisçait en lui, et lui appartenait au même titre que son propre souffle, que ses propres battements de cœur.

Un jour, un hibou se présenta à Samy. Il était bienveillant et à l’écoute. Il sembla à Samy qu’il le comprenait. Il posa de nombreuses questions à Samy et à sa famille. Puis, il mit enfin un mot sur les difficultés que rencontrait Samy depuis le début de son existence sur cette terre. Samy était autiste. D’abord, il ne le crut pas vraiment. Il lui fallut du temps pour accepter cette nouvelle identité. Avant tout, il se sentit soulagé. Rien n’était de sa faute. Il était différent, avec ses richesses, et ses faiblesses, avec ses limites, et ses capacités. Aidé du hibou, de sa famille, et d’un sage guérisseur, Samy entama un chemin vers une meilleure connaissance de cet étranger qu’il était pour lui-même. Il demeurerait toujours un être singulier, avec une perception du monde particulière. Mais il n’était plus seul. Samy apprit que des milliers et des milliers de personnes partageaient son combat, chacune à leur façon, avec leurs propres défis. Et ce combat, Samy savait qu’il serait long et laborieux. Seulement, il comptait bien en ressortir vainqueur.

Camille HULIN